jeudi 4 juillet 2013

Le cri du monde



    Il y a cette voix du monde qui pleure à travers nous; il y a ces cris sans cris qui résonnent en nous. Nous les connaissons car nous les avons reçu en partage à notre naissance, mais pourtant ils ne disparaîtront pas à notre mort. C'est la voix du monde, c'est le cri de notre commune humanité. Parfois cette voix s'élève dans notre chant, tinte dans notre rire. Car même dans le chant, même dans le rire, nous entendons la voix de tous ceux qui souffrent, et leurs cris sans cris résonnent dans notre chant, dans notre rire. Le monde de la souffrance humaine est infini: seul ce cri me permet de résonner à toutes les douleurs, même celles qui me sont inconnues. C'est la racine de toute souffrance, c'est la possibilité du partage, c'est le lieu de la rencontre.
  

    C'est cette voix sans voix qui souffre avec le deuil de l'autre, qui me fait lui tendre la main, le prendre dans mes bras pour qu'il puisse pleurer – et c'est ce cri silencieux qui laisse passer la joie devant le retour de celui qu'on n'attendait plus, la guérison de celle qu'on ne pensait pas revoir.

    Il me traverse, me construisant en me mêlant aux autres, me grandissant en me remplissant d'eux. Il m'emplit lorsqu'il y a assez de silence en moi pour faire place. Assez de silence en moi pour la présence de l'autre, le regard de l'autre, la compréhension complète, totale et sans parole de l'autre. Lorsque je n'ai pas peur, des profondeurs de ce monde humain, des profondeurs de mon être – que je sois heureuse ou malheureuse- ce cri m'accompagne, rappel de tous ceux qui façonnent ma vie, lui donnent son élan et ses possibles, ses chagrins et ses jours de soleil. Rappel de tous les êtres, absolument tous, à qui je suis reliée à chaque instant.

    Je ne veux pas toujours l'entendre: je cherche parfois à recouvrir le silence - et il existe tant de moyens pour cela! - à fermer la porte et me boucher les oreilles; mais je ne fais que me blesser dans les barbelés de la douleur refusée.
Mais lorsque j'accepte ces pleurs du monde dans ma vie, comprenant qu'ils sont aussi une partie de ma propre vie, je sais que ma douleur est partagée comme je sais que ma joie rejaillit sur le monde entier.

 
    Dans le panthéon bouddhique, on trouve ce «saint», Kanzéon, Celui qui se penche vers les cris du monde. Il est là pour aider, pour accompagner, pour secourir. Il n'est pas à l'extérieur du monde: il est chacun d'entre nous, et il est nous tous. 
     Il n'existe pas en dehors de nous – pas même les jours où nous ne pouvons même pas imaginer qu'il reste une parcelle de bonté et d'amour en nous! Parce que nous portons ces cris du monde, cette voix sans voix dans notre coeur; parce que c'est elle qui nous meut, qui nous permet de prendre soin de chaque jour, c'est elle l'étincelle de vie qui fait de nous des êtres d'amour et de don – elle qui nous permet justement de donner vie à notre tour.
 
    Écoutez! Dans la paix du coeur, dans chaque respiration, nous l'entendons, ce cri du monde.


Lulena


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