mardi 25 juin 2013

Indiciblement heureuse...




     Tous ceux qui m’écrivent gémissent et soupirent de la même façon. Je ne sais rien de plus ridicule que ça. Tu ne comprends donc pas que le désastre général est bien trop grand pour qu’on s’en lamente ? Je peux me désoler que Mimi soit malade ou que quelque chose n'aille pas pour toi. Mais quand le monde entier va à vau l’eau, je peux chercher à en comprendre les raisons mais du moment que j’ai fait mon devoir je reste calme et de bonne humeur.


Chérie, quand on a la fâcheuse habitude de chercher des gouttelettes de poison dans chaque fleur, on trouve, aussi longtemps qu’on vit, des raisons de gémir. Prends donc les choses à l’envers et cherche du miel dans chaque fleur et tu trouveras toujours des raisons d’être gaie et sereine ; et puis crois-moi le temps que je passe sous les verrous n’est pas non plus perdu. Il apparaîtra dans le grand équilibre des comptes. Je suis d’avis que l’on doit mener la vie que l’on croit juste sans vouloir être payé comptant de la main à la main et qu’à la fin sans doute tout s’éclaircira. Sinon je m’en fiche aussi, après tout ! Je me réjouis déjà tellement de la vie ! Tous les matins j’inspecte l’état de mes fleurs sur les arbustes.


    Tous les jours, je rends visite à une toute petite coccinelle que je maintiens en vie depuis une semaine sur une branche, malgré le vent et le froid, dans un chaud bandage de coton ; je regarde les nuages, toujours nouveaux et toujours plus beaux. Et au fond je ne me sens pas plus importante que cette petite coccinelle. Et dans le sentiment de cette infinie petitesse, je me sens indiciblement heureuse.




Rosa Luxemburg, lettre de prison, le 15 mars 1917.

samedi 8 juin 2013

L'harmonique de l'univers...

Le monde change;
sur une plage un promeneur a écrasé
un minuscule coquillage; dans une centaine d'années,
il y aura un nombre infinitésimal
de nouveaux grains de sable encore pointus et anguleux,
et mille ans plus tard de petits grains ronds
et lisses auront apparus – le monde change;
dans le jardin, pour la première fois, les boutons de camélia
vont s'ouvrir: nous ne savons pas de quelle couleur
seront les fleurs; quelques feuilles de radis,
deux petits bouts de rien, tout verts, dans le potager;
ce matin, on a rapporté les cendres de M.
du funérarium – le monde en est-il un peu plus vide,
ou un peu plus plein?


 Il paraît qu'on a trouvé
au fond des océans, dans les grandes failles obscures,
des poissons inconnus, aux formes étranges,
aux yeux aveugles – peut-être que dans dix millénaires,
ils ramperont hors de l'eau, et tout recommencera,
mais autrement ; la chatte a fait un nid dans le placard,
sur les serviettes de toilette,
comme à chaque fois – les petits ne vont pas tarder, cette nuit
peut-être-

le monde change;

dans le pré d'en-bas, chaque jour, les veaux
s'éloignent un peu plus de leurs mères : on pourra bientôt
les séparer sans les entendre meugler désespérément
toute la journée, inconsolables;
le long du talus, la terre détrempée après toute cette pluie
a commencé à glisser: qu'en est-il en moi
de la force de la terre? Combien de temps
avant qu'elle ne me tire vers elle –
 le monde change.
 
Sur l'écran de mon ordinateur, j'ai vu hier
ma petite nièce, Arabella, se mettre à marcher,
tomber en éclatant de rire, et se relever: bientôt
elle va partir explorer, s'éloigner, grandir;
va-t-elle changer le monde,
le monde la changera-t-elle? Dans le désert iranien
on tombe sur des ossements – sous l'effet du vent et
du sable, ils chantent, fête
des morts sans sépulture;
et cet air qui me compose aussi, quand
glissera-t-il à travers
mes os pour rejoindre

l'harmonique de l'univers?


Le monde change;
les pins qui se sont écroulés cet hiver sous le poids de la neige
servent de refuge
aux insectes et aux vers -
bientôt poudre bientôt humus bientôt atomes;
les hommes qui habitaient près de la rivière
autrefois
ont laissé s'écrouler les maisons 
de pierres grises; une bordure de rosiers

sauvages marque encore la trace des tombes -
le monde change.
Les abeilles y bourdonnent dès l'aube ,
petites flèches de soleil aux ailes sucrées-
délices;
une île a surgi de l'océan, ruisselante,
comme une reine,
et à des milliers de kilomètres,
les plages ont tremblé – et l'eau,
qui me traverse, me polit, me gouffre -
quand ruissellera-t-elle retournant aux nuages, à la pluie,
au ciel sans limite?
Un seul papillon a éclot,
tache blanche
sur feuille verte:
est-il heureux,ou
solitaire?
Est-ce que cela peut changer le monde?

Chacun de mes pas bouscule
un peu
le monde;
le monde frissonne dans chacune de mes respirations –
je change le monde -
le monde change-
maisons, îles, abeilles, cendres, poissons, coquillage;
naissance, mort, humus, ciel;
eau, terre, vent -
le corps – le monde.









La fin d'un blog

     Impermanence et changement...    pas facile parfois... la fin de ce blog depuis avril 2012, pour moi, un espace de liberté, un espace d...