mardi 21 avril 2015

Regarder naître un papillon




Qu'est-ce que la compassion ? Parfois être là, parfois simplement détourner le regard? La compassion doit-elle être toujours active, ou bien aidons-nous l'autre aussi en lui donnant le temps de trouver ses propres solutions ? La peur est peut-être ce qui nous retient d'aller vers l'autre, mais elle peut être aussi ce qui va nous empêcher de lui donner l'espace dont il/elle a besoin...Comment regarder naître un papillon... ?





« Me promenant dans la campagne au début de l'été, je vis naître un papillon... ». Ainsi commence l'histoire que raconte un maître bouddhiste contemporain. Il s'arrêta, fasciné par les efforts du papillon pour sortir de sa chrysalide. Quelle peine ! Une patte s'agite dans le vide, un morceau d'aile tout froissé se traîne sur le sol... Enfin, petit à petit, une moitié de papillon émergea – encore couleur terre, toute recroquevillée, les ailes collées, mais déjà papillon. Et qui s'est remis à sa tâche de papillon pour se libérer du reste de la chrysalide.



Ému, impatient aussi peut-être devant tant d'efforts, le maître avance la main. C'est si simple, pour lui : un geste, et le papillon se libère. Voilà ! Maladroitement, l'insecte avance sur le sol. Il prend son élan pour déployer ses ailes multicolores, s'envoler vers les fleurs, vers le ciel. Et la première se déplie, s'agite – mais l'autre, ah ! Celle qui avait été aidée, avec les meilleures intentions du monde... sortie trop tôt, reste collée, recroquevillée. Et cet homme, impuissant, désolé, voit le papillon incapable de s'envoyer, traînant son aile blessée.


« Ce fut une grande leçon pour moi, commente-t-il. Il m'avait toujours semblé qu'aider était un geste naturel, spontané. Or, je me mis à me demander si avec les autres je ne risquais pas aussi parfois d'intervenir alors que j'aurais dû rester spectateur ; de tendre la main alors qu'il aurait mieux fallu, peut-être, détourner le regard... » Comment savoir ?




Cette histoire me revient ce matin, contemplant la nature dans la merveille de cette fin du mois de juin. Plus d'une fois, moi aussi, au début du jardin, j'ai voulu aider une nouvelle pousse – j'enlevais un peu de la terre qui la gênait pour sortir... et elle ne sortait jamais ! Comment fait l'hirondelle pour savoir quand il faut nourrir le petit, et quand il faut le pousser hors du nid ?


Qu'est-ce que la compassion ? Comment se tourner vers l'autre ? Qu'est-ce qu'aider ? ? Tant de choses différentes se cachent derrière ce mot : le fils de mon amie est très fier, il a appris à nouer ses chaussures tout seul : il est encore lent et sa mère attrape les lacets : « Je vais t'aider... » L'enfant se met à pleurer... Je me souviens aussi de ce père devant les problèmes de sa fille adolescente : « Je ne vais pas l'aider, elle doit apprendre toute seule » et du regard désespéré de la jeune fille... Une amie qui se met en colère après moi : « Pourquoi est-ce que tu as fait cela ? - Écoute, je voulais seulement t'aider... »


Un jour, au Japon, dans un parc, je trébuchai et me cognai le genou par terre. Je fis une grimace, et croisai le regard d'une femme assise un peu plus loin ; j'essayai un sourire confus, mais imperturbable elle détourna les yeux. J'en fus irritée et vexée, et il me fallut du temps pour comprendre qu'en fait, selon le code japonais, en prétendant ne pas m'avoir vue tomber, elle m'évitait ainsi la gêne d'une situation embarrassante.
Je compris, et, depuis, il m'arrive, à moi aussi, de détourner les yeux.

 



Qu'est-ce que la compassion ? Tendre la main n'est pas toujours juste, toujours détourner le regard non plus. Je ne peux pas non plus agir selon ce que j'aimerais qu'on ait fait pour moi, car les autres ne sont pas moi. Ils ont d'autres blessures, d'autres attentes.

Alors ? Peut-être faut-il se demander d'abord si nous acceptons de laisser à l'autre le temps d'apprendre et de trouver, le temps de « sortir de sa chrysalide » ; le temps peut-être même, parfois, de vivre la souffrance. Ou bien avons-nous peur, peur que la douleur ou les difficultés de l'autre ne ravivent notre propre douleur ?



 Il faudrait poser la question autrement : « De quoi a besoin cette personne à ce moment-ci ? »

Prendre le temps de voir à chaque fois la personne qui est en face de moi : enfant ou adulte, inconnu ou ami ; bien sûr, je me tromperai parfois, mais, dans cette attention, dans ce silence, naîtra le geste juste, le mot, le regard, celui qui révélera le papillon et lui permettra de s'envoler...











Magazine La Vie Les Essentiels

Dessin: Marion,

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