mercredi 16 mars 2016

Deux tu l'auras...








« Un bon tiens...» dit le Monsieur ; il s'interrompt, lève l'index et me regarde d'un air sagace «...vaut mieux que deux tu l'auras. » Je souris, poliment intéressée, mais je n'en crois pas un mot. Que cette petite phrase se présente comme une morale ne lui donne pas, selon moi, de valeur, et ce n'est pas parce que d'autres caractères pompeux l'ont répétée à travers les âges que ça la rend vraie.Tout au plus peut-on dire que la formule est bien troussée !

 



J'aime bien les «  Tu l'auras » ! Un peu d'espoir, un peu de rêve, un peu de courage. Sans cela, Christophe Colomb se serait-il embarqué pour l'Amérique ? Marco Polo serait -il allé jusqu'en Chine ? Aurait-on envoyé tant de spoutniks vérifier si Mars était plein de petits hommes rouges et l'espace aussi immense qu'il le paraît ? Plus simplement, cramponné à son « bon mien », qui quitterait son village pour aller voir ailleurs si l'herbe est plus verte ?

 



Mais, poursuit le raisonnable, maintenant vous avez perdu ce que vous aviez sans être sûr d'obtenir ce que vous voulez. Ah ! La belle affaire ! De quoi peut-on être sûr dans notre vie ? Oui, parfois nous perdons. Nous perdons du temps, de l'argent, des occasions: peut-on toujours gagner ? Notre vie est-elle fait pour entasser, conserver et se mettre sous cloche parce que le vent souffle et que les nuages approchent ? Oui, je n'aurai sans doute pas réussi tout ce que je suis partie faire, mais dans le mouvement, dans l'audace, j'aurai appris tant de choses !

 











Appris qu'il est possible de se lancer sans avoir d'abord assuré toutes ses prises : ces moments de déséquilibre, de manque nous font chercher en nous des ressources insoupçonnées de force et de débrouillardise. Nous allons sortir de notre bulle parce que nous aurons besoin des autres, et nous les rencontrerons sur leur terrain, pas sur le nôtre. Nous aurons à faire preuve à la fois de jugement et de confiance. Nous allons prendre sinon notre mesure, néanmoins une mesure de nous-mêmes.






 Nous apprendrons de quoi nous sommes capables, quelles sont les peurs que nous pouvons dépasser, et quelles sont les limites qui nous retiennent. Je vois, parfois dans la douleur, que je ne vais pas réussir tout ce que j'ai tenté mais je comprends aussi que je peux accepter cela. Que tenter et ne pas réussir n'est pas un échec irréversible mais un apprentissage ; que rater, se tromper, perdre n'est pas la fin de tout, mais le début d'une réflexion : pourquoi cette erreur ? Comment puis-je mieux faire, quelles conclusions tirer de ces mésaventures ?

 





C'est vrai, nous allons revenir parfois blessés ou tristes. C'est vrai que la prudence est louable, tant qu'elle ne nous paralyse pas, et que la peur est bonne conseillère, à écouter pour choisir le chemin le plus sûr. Mais avancer ! Découvrir ! Rencontrer ! Cela vaut bien quelques découragements, quelques difficultés.














Et, promis, je ne m'en prendrai à personne de mes échecs, et je remercierai le monde entier pour mes réussites. Je sais que je suis responsable de mes choix, je connais cet autre proverbe : « Comme on fait son lit, on se couche »...et je choisis un lit de mousse et un oreiller d'herbe plutôt qu'une chambre close.

 



« Deux tu l'auras » et peut être trois ou quatre...ou rien ! Il ne s'agit pas de jouer notre vie à pile ou face, mais de la vivre, dans son insécurité, dans sa richesse, dans sa finitude. Vivre en faisant du mieux possible pour nous-mêmes et pour tous ceux qui nous accompagnent, en se laissant guider, non par des paroles creuses, mais par notre cœur. 






Publié dans le magazine LA Vie février 16 

 Trois soleils: Eva acrylique

Photos: Lulena 

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